L’entrepreneur peut avoir 9 vies… s’il sait retomber sur ses pattes!

Dans le parcours de l’entrepreneur, plusieurs obstacles se présentent, et parfois, il y en a des vraiment gros. Ceux-là vont vraiment éprouver notre capacité à surmonter l’adversité, ils vont développer notre résilience et mettre notre équipe à l’épreuve. Ça passe ou ça casse. Et comme tout arrive en même temps dans la vie, on est en plus en train de rénover nos installations et enceinte, les choses ne sont pas facilitées. Voici une expérience qui résume parfaitement le fait que les pires scénarios peuvent tout de même avoir un dénouement heureux…

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Le mystère du granola rance

Cette histoire a été digne d’une enquête de Sherlock Holmes… En 2017, un mauvais approvisionnement a bien failli causer notre faillite.

Au début, nous avons commencé par recevoir quelques plaintes de nos clients fidèles qui trouvaient que le goût de nos produits avait changé. Et pas pour le mieux. C’était notre première remontée de ce type, alors nous avions à cœur d’en trouver la cause au plus vite et de vérifier que d’autres saveurs n’étaient pas atteintes du même problème. Les clients se plaignaient d’un goût rance alors que le produit était très frais. À peine sorti de notre atelier de production depuis quelques semaines. Le même style de remarque que nous avions déjà reçu une fois dans le passé pour un produit proche de sa date d’expiration.

L’équipe s’est alors mobilisée autour de la problématique : on a ouvert des sacs, fait des suivis de lots, des dégustations… Bref, on cherchait à cibler et à cerner le problème (c’est une production, un produit, plusieurs saveurs, plusieurs productions???).

Il fallait demeurer calme et logique. Nous avons ainsi analysé les ingrédients présents dans le mélange concerné et isolés ceux plus capables de rancir et de détériorer le goût : céréales, huile, farine… Nous avons contacté nos fournisseurs pour connaître les dates de fabrication de ces matières premières. En parallèle, nous nous sommes fait aider par un laboratoire. Plusieurs semaines et plusieurs nouvelles plaintes plus tard, après de nombreuses discussions internes et échanges avec le laboratoire, on croit enfin avoir mis la main sur le problème. À partir des échantillons fournis, ils ont finalement pu déterminer que l’ingrédient responsable de tout ce chaos était certainement l’huile. Comment cela était-il possible alors que nous utilisions la même huile depuis toujours sans changer récemment de fournisseur? Nous n’avions jamais eu de problème avec cet ingrédient dans le passé et là il semblait contaminer tout le produit avec une odeur de peinture.

Afin de poursuivre notre enquête, nous avons comparé les résultats du laboratoire d’analyse obtenus aux fiches techniques de l’huile que le fournisseur nous a finalement remis suite à plusieurs requêtes urgentes de notre part. C’est alors que nous nous sommes rendu compte que l’huile fournie n’était pas celle que nous avions sélectionnée. Depuis combien de temps avions-nous produit avec cette mauvaise huile? Étions-nous toujours en train de produire avec cette même huile? STOP, on arrête la production!

Le résultat

Le fournisseur québécois avec lequel nous travaillions avait changé son approvisionnement sans nous en informer. Il nous facturait à prix d’or une huile de qualité inférieure, nous trompant ainsi sur la marchandise. Impossible de savoir que le produit n’était pas conforme à toutes les commandes précédentes, cela n’apparaissait pas sur l’emballage du produit, aucun indice n’avait été fourni à cet égard. Il était temps d’impliquer les avocats.

Nous avons dû bloquer la production le temps de trouver un autre fournisseur car il était confirmé que tous les produits fabriqués depuis les 3 derniers mois étaient contaminés par cette huile non conforme. Elle avait pour effet d’écourter agressivement la durée de vie de nos produits et de leur conférer une odeur et un goût désagréable. Plus désagréable encore que des produits fabriqués avec la bonne huile mais ayant dépassé leur date d’expiration. Histoire de compliquer les choses, les autres fournisseurs potentiels qui pouvaient nous dépanner vendaient également tous cette même huile de qualité inférieure.

Il a ensuite fallu prendre une décision ardue. Cela reposait sur mes épaules d’entrepreneur enceinte de 6 mois : Rappeler des milliers de produits pour les détruire ou les laisser en vente au risque de ruiner la réputation de nos produits. J’ai alors communiqué avec mon courtier en assurance qui m’a dit que le sinistre ne serait pas couvert. STRESS… gros stress. Insatisfaite de sa réponse, j’ai pris l’initiative de lire mon contrat d’assurance pour comprendre pourquoi ce ne serait pas couvert. Évidemment, après avoir payé des assurances depuis des années, on veut pouvoir en bénéficier le jour où on en aura besoin… Finalement, j’ai trouvé la clause à cet effet, même si un peu ambigüe. J’ai tout de même rappelé ma courtière qui m’a mis en contact directement avec l’assureur pour en discuter. Fébrile, j’ai raconté à l’expert en sinistre les circonstances entourant notre problématique. Il m’a dit qu’il allait analyser le dossier et me rappeler dans la prochaine heure. Je suis allée rejoindre mes employés dans un lunch d’équipe comme si de rien n’était, alors que je savais que le futur de la compagnie était en jeu. À la fin du lunch, je reçois l’appel de l’assureur, je me sauve dans mon bureau, je ferme la porte : il me confirme que les dommages seront couverts et m’informe des maximums couverts et des coûts admissibles.

J’avais déjà pris la décision de faire le rappel, sur différents marchés, mais là j’ai donné le GO sur un rappel à grande échelle. Il fallait préparer une communication rassurante pour la clientèle. En effet, si pour Santé Canada nos produits pouvaient encore être commercialisés car non dangereux (juste mauvais au goût), il fallait pouvoir rétablir la confiance de nos loyaux clients et partenaires d’affaires.

Heureusement dans ce cauchemar, j’ai pu compter sur l’aide et la patience de nos distributeurs. Car retirer les produits est une chose, mais encore faut-il les remplacer. Il a fallu produire pour combler le vide laissé, le stress était à son paroxysme. De plus, nous avions des dizaines de palettes de produits dans notre entrepôt en quarantaine contaminés par l’huile que nous n’avons pas pu vendre et qui nous encombraient. Cela a pris plusieurs semaines pour remplacer tous les produits et nous attendions anxieusement les rapports de crédits de marchandise pour voir si nous allions dépasser les maximums couverts par les assureurs. Je tiens à préciser que les assureurs et avocats ont été de précieux alliés dans toute cette démarche et sans eux, je ne suis pas convaincue que nous serions passés au travers financièrement.

Limiter les dégâts

Cinq mois plus tard, nous apercevions enfin la lumière au bout du tunnel. Entre-temps, nous avons traité plus d’une cinquantaine de plaintes en expliquant à la clientèle en toute transparence ce qui s’était passé dans notre production. Par ailleurs, la majorité des clients ne prennent pas le temps de se plaindre, ils cessent tout simplement d’acheter. Nous avons également perdu des listings importants car la performance de nos ventes a été impactée par les tablettes laissées vides pendant plusieurs semaines. Certains distributeurs ont juste remplacé nos espaces avec d’autres produits, de façon définitive.

Ironiquement, à cette même période, nous avons appris que nous étions présents au classement du Profit500 et nous annoncions d’importants investissements dans nos installations dans les médias. On était donc en train de surmonter une énorme épreuve en même temps qu’une heure de gloire… tout un paradoxe, certes! Afin de donner l’heure juste à notre clientèle, nous avions enfin assez de recul un an plus tard pour en parler dans les médias et expliquer nos déboires. À la suite de l’article paru dans La Presse, nous avons obtenu de nombreux messages d’encouragement. Plusieurs clients nous ont confirmé qu’ils avaient cessé l’achat de nos produits, mais qu’ils étaient rassurés de comprendre ce qui s’est passé et qu’ils allaient nous encourager de nouveau.

De surcroît, au moment de vivre ce sinistre, nous étions déjà en train de mettre en place des normes qualité extrêmement exigeantes au sein de nos opérations : nous sommes maintenant certifiés HACCP et GFSI (SQF). Mais rien ne peut vraiment protéger un manufacturier d’un fournisseur malhonnête…

L’heureux dénouement? Nous avons pu revaloriser tous les produits en quarantaine et une partie des produits du rappel en nourriture de bétail…. Espérons qu’ils n’ont pas remarqué le goût du rance Et, bien-sûr, j’ai donné naissance à terme à un beau petit garçon avec l’esprit tranquille… ou presque.

  • Leçon n°1 : Faire confiance à son instinct : même si on m’a dit que ce n’était pas couvert par l’assurance, je n’étais pas convaincue et mes recherches m’ont permis de réaliser que j’avais raison;
  • Leçon n°2 : Prendre les décisions qui s’imposent : même si je ne savais pas encore si j’allais bénéficier d’une couverture d’assurance, j’ai amorcé un processus de rappel volontaire car je savais que c’était la bonne décision, même si la plus difficile à assumer.
  • Leçon n°3 : Communiquer avec transparence : nous avons clairement communiquer notre situation tout au long du processus avec nos clients, nos collaborateurs d’affaires et associés.
  • Leçon n°4 : Toujours garder son sang-froid devant ses employés : il faut rester convaincu qu’on va s’en sortir sinon comment convaincre ses employés de tenir le cap et de fournir les efforts nécessaires pour rétablir la situation?
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